Féminité, féminitude, comment je me sens femme.
L’appel de « No Salad Thanks » à écrire un article pour me définir en tant que femme me pose un petit problème car il me force à me poser la question du biologique, du sociologique, du culturel qui contribuent à constituer ma « féminitude », et alors devant l’immensité d’une telle tâche la tentation me prend de ne rien écrire du tout. Mais je suis une femme, donc je prends le taureau par les cornes et décide d’apporter ma contribution, que je sais incomplète et imparfaite, mais qui a le mérite d’exister J .
Je vais donc pour ma part vous parler un peu de la femme que je suis, que je me sens être, pas vraiment représentative des schémas stéréotypés en la matière, ni top-model, ni bimbo, ni madone, ni putain, ni mère, ni esclave… Un être humain, disais-je, de sexe féminin, et libre à vous de vous reconnaître en tout ou en partie dans mes propos !
La femme n’existe pas, il n’y a que DES femmes, c’est bien là le drame des hommes qui « aiment les femmes » car jamais leur soif n’est étanchée, et celui des hommes qui cherchent LA femme car leur quête est vouée à se briser sur les écueils du réel des facettes multiples de cet être vivant habituellement pourvu de seins, ovaires, utérus, vagin, clitoris et un cerveau imprégné des hormones qui lui sont spécifiques et éduqué selon les codes et les représentations de son univers familial, social et culturel, modelé par une sensibilité et un vécu, et le méli-mélo de tout cela constitue une femme !
Dans le film Kadosh, d’Amos Gitaï, j’ai découvert avec sidération les mots d’une prière juive orthodoxe récitée par les hommes pratiquants tous les matins : « merci mon dieu de ne pas m’avoir fait femme ».
J’aurais envie de dire « merci mon dieu de m’avoir faite femme ». J’ai conscience chaque jour de la chance que m’est donnée de vivre dans un lieu et à une époque me permettant d’être indépendante si tel est mon choix, choix refusé de fait par une domination masculine despotique et bornée pour un grand nombre de femmes dans le monde. Je me souviens que le droit de vote en France ne date que de quelques dizaines d’années, la mémoire est courte.
Et je me sens solidaire de toutes les femmes opprimées, brimées, brisées, exploitées, nombreuses de par le monde. Lorsque j’ouvre un robinet (geste du banal quotidien pour un grand nombre d’entre nous) je me souviens de toutes les femmes et enfants qui font des kilomètres à pied pour assurer l’approvisionnement en eau de leur famille. Lorsque j’achète un billet de train ou d’avion, je me souviens de tous les pays, à l’heure actuelle, où une femme a besoin pour cela de l’autorisation de son père ou de son mari, et ne peut marcher dans la rue sans être accompagnée d’un représentant du sexe masculin, fût-il un enfant ! Lorsque je me dénude pour savourer de toute ma peau la caresse du soleil, je me souviens que dans certains pays je mettrais par ce simple plaisir de communion avec la nature ma vie en danger.
Lorsque je marche dans Paris, parfois tard la nuit, je me souviens de ces 2 jeunes-filles chinoises croisées rue du Temple il y a des années, si étonnées de mon absence de peur, ainsi seule, me demandant de leur voix cristalline comment je pouvais « vivre sans homme pour me protéger » ! J’ai eu de la peine pour elles, chez qui une tradition voulant la femme soumise et craintive avait peut-être réussi à estropier le cerveau de façon à les rendre dépendantes aussi sûrement que les pieds bandés de leurs arrière-grand-mères.
Etre une femme c’est avoir une intelligence, un courage, une force, une persévérance qui ne demandent qu’à trouver un terrain d’expression, et en même temps c’est une capacité d’aimer jusqu’au dévouement extrême, lequel peut obscurcir son jugement au point de la rendre stupide et aveugle. Etre une femme c’est aussi se battre et se révolter pour être la femme qu’on se sent en droit d’exister.
Et puis être une femme, c’est être capable de se donner toute entière, se retrouver le cœur brisé, cicatriser en traversant la douleur, et oser risquer encore malgré les épreuves, quitte à devoir se briser encore, se recoller, sans cesser d’y croire, à ce beau rêve de communication et de communion possible avec l’autre.
Etre une femme exige d’apprendre à déceler comment on la manipule, et dire NON aux modes qui, selon les tendances du moment, veulent lui inculquer l’obéissance aux diktats d’une image formatée de la femme, dont les plus visibles concernent la forme et la taille de ses « attributs de féminité » : seins, fesses, bouche pour les plus visibles, cela ne s’arrête pas là et je vous épargne les détails !
La femme que je suis résiste aux pressions chaque année plus intenses l’enjoignant à se débarrasser de tous ses poils (à l’exception des cheveux, sourcils et cils) pour que son corps corresponde au fantasme en cours, en ce moment fortement pédophile à mon avis, véhiculé par les films pornographiques, d’une femme toujours plus objet érotique, poupée au sexe glabre, ce qui fait par ailleurs la fortune des lobbys de l’industrie du soin esthétique et cosmétique !
Une femme, c’est aussi la douceur infinie d’une main qui rassure, d’un regard qui caresse, d’une voix qui enchante, c’est l’attention aux petits riens qui créent le bonheur de tous les jours, sans tambours ni trompettes, une délicatesse subtile, une vraie générosité.
Etre femme c’est un jour d’enfance s’entendre dire « tu es une femme maintenant » lors du premier rendez-vous mensuel avec le sang, horloge biologique qui va scander des dizaines d’années de sa vie et marquer le corps de ses passages symboliques.
Etre une femme c’est savoir que la lune suit des phases durant les 28 jours de son cycle et influence les marées comme ses phases à elle influencent ses humeurs ! Une femme vit dans son corps et son esprit ce rappel d’impermanence qui la rend sans doute plus sensible au respect de la vie et stimule son sens du pragmatisme et de la solidarité. La femme que je suis ne voit pas les menstrues comme une chose impure , le sang qui coule du sexe des femmes symbolise le lien avec la vie, et leur fin programmée par l’âge, que nous ne connaissons à grande échelle que depuis que l’espérance de vie dépasse les 50 ans, inscrit les femmes dans un rapport particulier à la conscience de la mort, puisqu’elle survit à cette étape de sa vie où elle était féconde ou fécondable et doit se situer en tant que femme d’une autre façon dans ce temps qui la sépare de la mort.
Et, pour finir sur une note d’humour, car j’adore rire, j’ai envie de dire que la femme que je suis en arrive au terme de cet écrit à lui trouver un sacré accent militant, un petit un air de : « Femmes de tous les pays, unissez-vous ! »
AZANA – Paris, décembre 2011